Céréales : les cultures associées, une voie prometteuse (mais délicate)

2 mars 2019

Par Mathieu Marguerie (mathieu.marguerie@bio-provence.org)
Michel Nevière, Lycée agricole Aix-Valabre

Les parcelles agricoles de demain verront très certainement leur diversité de plantes cultivées augmenter. L’association de cultures est en effet une piste prometteuse pour une meilleure résilience des systèmes face aux aléas. Mais elle n’est pas simple à gérer en systèmes mécanisés. Des essais en grandes cultures sont en cours dans la région.

Les performances agronomiques des cultures céréalières biologiques sont constamment soumises à de multiples aléas. Nombre de ces derniers proviennent de l’inadaptation du système de culture biologique à l’uniformité des parcelles agricoles. Un champ avec une seule même espèce est généralement plus sensible au salissement, maladies, voir aux carences azotés. Si la présence de haies, d’arbres ou de bandes enherbées est un levier prometteur pour lever partiellement cette vulnérabilité des systèmes bio, l’association de cultures au sein de la même parcelle pourrait l’être tout autant. Sauf qu’elle n’est pas simple à maitriser en systèmes mécanisés.

Associer les céréales et les légumineuses

Les cultures associées consistent à semer en dans le même champ deux espèces différentes dont le mariage aura des effets bénéfiques pour l’une ou l’autre des cultures ou pour la rotation. Ainsi, nombre d’agriculteurs cultivant des lentilles le font en association avec de la caméline, servant de support à la légumineuse et facilitant ainsi les opérations de récolte. D’autres associent au champ le pois et le blé. L’association de deux cultures ayant vocation à être récoltées nécessite souvent un équipement adéquat en tri. D’autres pistes consistent à associer à une céréale, une légumineuse dont le développement va être maîtrisé pendant le cycle de la graminée. Ces techniques ont généralement pour objectif de limiter la concurrence, principalement hydrique dans nos climats, entre les deux espèces et d’améliorer, par la destruction de la légumineuse, la nutrition azotée de la céréale, souvent très déficitaire en bio. Peut en particulier être visée la nutrition de la fin de cycle des blés, afin de sécuriser le taux de protéines de variétés capables de faire des absorptions d’azote post-floraison. En agriculture non bio, ces techniques sont déjà pratiquées par quelques agriculteurs qui disposent de moyens chimiques pour réguler-ou détruire- la légumineuse compagne de la céréale au bon moment. En bio, il faut compter plutôt sur des moyens mécaniques de gestion de ces couverts, et donc sur l’association de configuration particulière de parcelle et d’outils adaptés.

Détruire ou maitriser la légumineuse mécaniquement


Semis associé de blé dur (2 rangs sur 3) et de féverole (1 rang sur 3) au 4 avril 2018. La féverole est ensuite binée par bineuse à caméra optique.

Au lycée agricole de Valabre, à Gardanne (13), des expérimentations sont menées avec Agribio 04 et Arvalis afin de tester des associations de féverole et de blé dur dans le cadre du projet PEI « Gestion des couverts végétaux sans herbicide en conditions méditerranéennes » . Le même jour, et en deux passages successifs, le blé dur est semé deux rangs sur trois et la féverole dans le rang laissé vide. Dans les essais réalisés sur la saison 2017-2018, la féverole a été détruite à l’aide d’une bineuse à caméra optique, selon deux dates d’avancement du blé : au stade épi 1cm pour la première modalité et au stade 2 nœuds pour la seconde afin d’évaluer la meilleure conduite pour minimiser les effets de concurrence et maximiser la biomasse de la féverole. Ces pratiques innovantes ont été comparées à un témoin de blé dur mené classiquement, à la même densité que le blé associé (155 kg/ha). Enfin, pour chacune des modalités, trois niveaux de fertilisation azotée ont été réalisés : 0 unités, 80 au stade épi 1 cm et 80+40 en dernier apport. Les résultats de la première année d’expérimentation montrent qu’avec une régulation efficace de la féverole (2 passages de bineuse nécessaires), les rendements ne sont pas impactés dans l’association de culture par rapport au témoin (Figure 1). Cela s’explique en particulier par un nombre d’épis/m² équivalent, voir légèrement plus élevé, dans un système où le blé est présent deux rangs sur trois par rapport à un semis à plein. La moindre densité de végétaux sur la ligne de féverole comparée à celle de la céréale explique un tallage plus important des blés avec un « effet de bordure » permanent dans la parcelle. Par ailleurs, en termes de protéines, cette pratique a permis un grain de +0.2 à +0.4 points de protéines en situation sans apport d’azote. L’effet est moins marqué dans les systèmes peu déficitaires en azote. Si, au vu des conditions climatiques très particulières de l’année (printemps très humide), ces essais sont à poursuivre, ils ouvrent néanmoins une voie prometteuse basée sur l’agriculture de précision.



Figure 1 : rendement et taux de protéines de blés associés à de la féverole binée en comparaison à un témoin de blé dur seul selon différents niveaux de fertilisation. D1 : destruction de la féverole au stade épi 1cm du blé ; D2 : destruction de la féverole au stade 2 nœuds du blé.

La piste, aléatoire, des couverts gélifs

L’autre levier de destruction des couverts végétaux dans le blé travaillé par Agribio 04, Arvalis et le Lycée de Valabre consiste à compter sur le gel, fréquent dans de nombreuses zones de Provence. Des légumineuses gélives à différentes températures (vesce grise, vesce barvicos, gesse) ont été implantées en septembre 2019 et arrosées pour favoriser leur biomasse avant les premiers froids. Le blé dur a ensuite été semé en direct dans les couverts végétaux les plus riches en biomasse, c’est-à-dire les plus exempts de mauvaises herbes. Mi-janvier, ils avaient gelé, offrant ainsi potentiellement de bons reliquats azotés pour le blé. La réussite de cette technique semble résider dans celle des couverts végétaux dont la densité et la propreté est un élément clé. Les couverts salis par des adventices non gélives ont été retournés pour ensuite semer le blé dur dans les meilleures conditions possibles. Par ailleurs, des semis trop tardifs des couverts végétaux en octobre ou novembre peuvent, du fait de leur très faible biomasse, les rendre insensibles aux gels. Les associations de culture de couverts gélifs et de céréales ne sont donc à envisager que dans le cas de semis précoces (septembre) comme cela peut être pratiqué dans les zones montagneuses.


Semis de blé dur au lycée agricole de Valabre en direct dans un couvert gélif de gesse (photo décembre 2018)


Levée du blé dur dans la gesse gelée (février 2019)

Les cultures associées, un levier pour gérer les mauvaises herbes

Au-delà de l’enjeu de la nutrition azotée, les cultures associées peuvent également être un moyen de maîtriser la pression en mauvaises herbes. Les essais réalisés au lycée de Valabre en 2018-2019 ont permis de mesurer l’impact de différentes associations de couverts végétaux sur la pression en mauvaises herbes dans le blé dur, pour une année particulièrement délicate de ce point de vue-là, du fait de la pluviométrie printanière abondante. Les essais ont été réalisés sans aucun passage d’herbicide afin de pleinement mesurer l’effet des couverts végétaux. La pression en adventices est significativement plus faible pour quasiment toutes les cultures associées par rapport à un blé dur seul, excepté dans le cas de la véronique de perse, espèce rampante et peu concurrentielle (Figure 2). Il est à noter en revanche que les associations au semis de blé et de gesse ou d’ers n’ont pas été concluantes à la récolte. En raison d’un semis tardif de l’association blé dur-légumineuses (9/11/2017), ces dernières n’ont pas gelé car pas assez développés au moment des températures adéquates. La gestion des cultures associées en céréales nécessite donc encore de nombreux ajustements pour acquérir des références robustes dans les systèmes sans herbicide de Provence. Les dates de semis des espèces composant les associations et les modes de destruction (gel ou mécanique) sont à explorer pour construire les références adaptées à chacun des pédoclimats de la région. Pour sûr, ces systèmes de demain seront d’abord intensifs en connaissances pour maximiser intelligemment la complexité du vivant.


Figure 2 : impacts de l’association de cultures avec du blé dur sur la pression en mauvaises herbes (essais Agribio 04-Lycée de Valabre, 2017-2018)

Agribio 04
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