Répondre au cahier des charges brassicole bio en région Sud-PACA : quels liens entre pratiques agricoles et teneurs en protéines ?
L’orge brassicole bio est une culture avec un cahier des charges exigeant. En région Sud-PACA, le principal enjeu est l’atteinte du taux de protéines qui doit s’établir entre 9,5 et 11,5%. En dessous ou au-delà de ces taux, le processus de maltage est dégradé (rendement brassicole, sensibilité à l’eau), le brassage complexifié (risques de colmatage, problèmes de filtration) et la bière de moins bonne qualité (prise de mousse, turbidité).
Dans le cadre de la structuration de la filière brassicole bio en région, Agribio 04 a été mandaté par la Malterie Provence-Alpes pour mieux comprendre le lien entre pratiques agricoles et qualité et sécuriser l’approvisionnement de la malterie en orge brassicole bio.
En repartant des enseignements du projet “Orges-Malts-Bières” (2020 – 2022), Agribio 04 a enquêté et recensé les pratiques de 23 agriculteurs bio et analysé 55 échantillons d’orges brassicoles sur la période 2021 - 2024. Les agriculteurs ont été sélectionnés de façon à être répartis de manière homogène sur le territoire pour identifier les singularités de deux secteurs de production distincts par leurs contextes pédoclimatiques, leurs systèmes de production et pratiques culturales : les Hautes-Alpes et le nord des Alpes-de-Haute-Provence qui caractérise le secteur nord et le sud des Alpes de Haute-Provence, le Nord des Bouches-du-Rhône et le Vaucluse représentant le secteur centre. Ce travail d’enquête et d’analyse nous livre ses premiers résultats et permet d’éditer des premières recommandations techniques par secteur de production.
Carte des agriculteurs enquêtés.
Un taux de protéines tout d’abord influencé par le climat… puis par le secteur de production !
60% des échantillons analysés par Agribio 04 sur la période 2021 - 2024 sont en dehors du cahier des charges brassicoles : 2/3 des échantillons déclassés sont au-dessus des 11,5%, majoritairement en secteur nord, et 1/3 sont en dessous des 9,5% préconisés, en grande partie en secteur centre.
Ces ratios varient selon les campagnes culturales et notamment les années climatiques : les fortes chaleurs et la sécheresse exceptionnelle de l’année 2022 ont lourdement pénalisé le remplissage des grains et concentré la protéine tandis que les abondantes précipitations du printemps 2023 et de l’année 2024 semblent avoir été plus favorables sur la teneur en protéines grâce à de meilleurs conditions de remplissage. L’excès d’eau a cependant, dans la plupart des cas, perturbé les semis d’orge avec des fenêtres d’implantation plus étroites. Les pluies de fin de cycle ont également dégradé les poids spécifiques (-1 point/10mm de pluie), un autre critère du cahier des charges brassicole (63 en moyenne en 2024 contre 65 à 68 kg/hl dans le cahier des charges) ! Hormis les orges de printemps du secteur nord, toutes au-dessus du seuil des 11,5% de protéines, les taux de protéines mesurés sont très disparates sur un même secteur de production peu importe le type d’orge cultivé.
Nb d’échantillons respectant le cahier des charges brassicoles (vert) ou détenant des taux de protéines non conformes, c’est à dire inférieurs à 9,5% (orange) ou supérieurs à 11,5% (rouge) en fonction de l’année, du secteur et du type d’orge (OH6R : Orge d’hiver 6 rangs ; OH2R : Orge d’hiver 2 rangs ; OP2R : Orge de printemps)
Des problèmes de qualité très contrastés en fonction du secteur de production
Les taux de protéines trop élevés (> 11,5%) sont majoritairement rencontrés dans le nord de la région (nord des Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes) tandis que les taux de protéines les plus bas (< 9,5%) proviennent du centre de la région (sud des Alpes de Haute-Provence, Vaucluse, Nord Bouches-du-Rhône). Ces deux secteurs se distinguent notamment par leurs contextes pédoclimatiques, leurs systèmes de production et leurs pratiques agricoles.
Typologie des fermes enquêtés par secteur de production.
En secteur nord, la présence d’élevage (amendements et fertilisation avec des effluents d’élevage, taux de matière organique élevés etc.) et des sols profonds avec un bon volant d’autofertilité favorisent les taux de protéines élevés (> 11,5%). Les agriculteurs tentent d’abaisser ces taux en rallongeant la rotation, notamment en plaçant l’orge en 4ème paille, ou en insérant des couverts d’interculture d’été (sorgho) ou d’hiver (moutarde blanche) avant les semis d’orges de printemps. L’allongement des rotations n’est pas sans conséquences et accentue les problèmes de salissement : 30% des agriculteurs enquêtés estiment avoir des problématiques de salissement et 22% pratiquent le désherbage mécanique, tous en secteur nord.
Au centre de la région, les agriculteurs cultivent l’orge brassicole en rotation avec d’autres céréales ou fourrages, mais aussi avec d’autres productions (légumes plein-champ, vignes). La culture est secondaire et est considérée comme une culture à faible niveau d’intrants : très peu d’agriculteurs fertilisent l’orge brassicole, et ce, au détriment des rendements et de la qualité. Hormis les paysans-brasseurs qui cultivent de l’orge en rotation avec des légumineuses fourragères type sainfoin / luzerne, le reste des agriculteurs a tendance à placer l’orge en fin de rotation, ce qui participe à la dégradation de ses performances agronomiques. Ce potentiel est aussi dégradé par de faibles précipitations et des conditions de remplissage du grain délicates.
Classification des rotation types des agriculteurs enquêtés.
La rotation pour piloter la protéine ?
La place de l’orge dans la rotation est l’un des premiers leviers techniques à activer pour piloter sa teneur en protéines. Pour des problématiques de taux de protéines trop élevés, il sera préférable de placer l’orge en fin de rotation (3ème paille), voire de la rallonger en étant vigilant aux problématiques de salissement. A l’inverse, pour des taux de protéines trop bas, placer l’orge en début de rotation après une légumineuse pluriannuelle permettra d’améliorer le rendement et la protéine. On estime à +1% de protéines l’effet légumineuse pluriannuelle. L’arbitrage peut s’avérer délicat car la culture rentre en concurrence avec d’autres cultures alimentaires elles-aussi exigeantes en azote comme le blé dur ou le blé tendre.
Orge 6 rangs ou 2 rangs : quelles différences ?
Il existe deux types d’orges : les orges dites 2 rangs (orges de printemps et quelques variétés d’orge d’hiver) à l’origine fourragère et valorisées pour leurs bonnes teneurs en protéines, et les orges 6 rangs d’hiver intéressantes pour faire du rendement. Elles se distinguent par la façon dont elles construisent leur rendement, et donc de la manière dont elles diluent la protéine, les deux étant inversement corrélées.
Attributs des orges 6 rangs et des orges 2 rangs.
En secteur centre, où le taux de protéines > 9,5% est difficile à atteindre, l’utilisation d’orge d’hiver 2 rangs (variété CALYPSO / SALAMANDRE) permettrait de combiner les attributs qualité des deux rangs tout en limitant les conditions échaudantes de fin de cycle. L’utilisation d’orge de printemps (RGT PLANET) est possible à condition d’avoir accès à l’irrigation pour sécuriser la réussite de la culture. A l’inverse, faire du rendement étant un objectif pour diluer la protéine en secteur nord, les orges d’hiver 6 rangs (AMISTAR, KSW JOYAUX) semblent être les mieux adaptées pour diluer la protéine.
Au-delà de recommandations agronomiques qui prennent ici uniquement en considération le taux de protéines, d’autres critères qualité orientent les malteurs et brasseurs vers les orges deux rangs, de printemps d’abord, puis d’hiver. Il est donc recommandé d’effectuer son choix variétal en prenant en compte l’ensemble du système de cultures (précédent, place de l’orge dans la rotation, potentiel agronomique de ses terres, fertilisation – voir fin de l’article) et les recommandations des opérateurs économiques locaux. En effet, les travaux d’évaluation variétale à l’échelle nationale sont arrêtés depuis 2022, ce levier ayant été décrété comme de faible efficacité sur la réussite de l’orge brassicole bio (peu de nouvelles variétés éditées par les semenciers). Les travaux sur la place de l’orge dans la rotation, la fertilisation et les densités de peuplement seraient des axes de travail privilégiés pour mieux piloter le taux de protéine mais les références manquent cruellement en agriculture biologique. Le type d’orge doit donc se réfléchir en interactions avec l’ensemble de ces éléments.
Semences certifiées vs. Semences fermières
L’utilisation de semences certifiées par le cahier des charges brassicole est une condition sine qua non pour rejoindre la filière longue et ainsi assurer l’homogénéité du malt. Pourtant, seulement la moitié des 23 agriculteurs enquêtés en utilisent, un chiffre qui s’explique par la plus forte représentativité d’agriculteurs en circuits-courts parmi les enquêtés, contactés en priorité car membres de la SCIC Malterie Provence-Alpes. L’utilisation de semences fermières est envisagée lorsque les agriculteurs brassent à la ferme ou détiennent un partenariat direct brasseur avec son propre cahier des charges, ce qui est le cas pour les ¾ des agriculteurs enquêtés. Plus largement, les agriculteurs ont expliqué faire leur choix variétal d’abord sur un critère d’adaptation au contexte pédoclimatique de leur ferme, ensuite sur un critère de disponibilité de la semence. Le choix d’une semence fermière est parfois fait par dépit en raison d’un manque d’accès aux semences certifiées proposées par les coopératives. En 2025, il est prévu d’intégrer 10 agriculteurs supplémentaires en filière longue pour une meilleure représentativité de la filière.
En région Sud-PACA : contacter DURANSIA ou le GROUPE PAYRE, partenaires filière de la Malterie Provence-Alpes.
Des densités de semis trop élevées ou trop faibles
Les agriculteurs enquêtés réfléchissent leur densité de semis davantage en kg/ha qu’en nb de grains/m2, principalement par habitude ou sur conseil extérieur. Très peu d’entre eux intègrent les différences de PMG (poids mille grains) entre semences, un critère qui vient pourtant éclaircir ou densifier les densités de peuplement préconisées, et donc influencer le rendement et la teneur en protéines de l’orge, cette dernière étant moins plastique que le blé dans l’élaboration de son rendement.
Les doses de semis des agriculteurs enquêtés varient de 140 à 180 kg/ha, soit de 320 à 550 grains/m² (PMG de référence = 44 pour les semences commerciales ; PMG de la semence de l’année N+1 pour les semences fermières). En orge 2 rangs, seulement 40% des agriculteurs respectent les densités préconisées (350 – 380 grains/m²) et ce nombre s’abaisse à 10% en orge 6 rangs (280 – 350 grains/m²).
Les agriculteurs bio ont tendance à augmenter les densités de semis pour tamponner les pertes liées au gel, au retard de semis ou au désherbage mécanique. Ils peuvent à l’inverse les réduire pour semer sous couvert d’orge de printemps une prairie. C’est le cas des éleveurs du secteur Nord qui réduisent volontairement les densités pour sécuriser l’implantation de leurs prairies. La pratique participe directement à l’augmentation du taux de protéines et au déclassement des orges de brasserie, l’orge de printemps construisant son rendement sur la densité de peuplement et le nb d’épis / m² : toute stratégie amenant la réduction des densités de semis viendra concentrer la protéine.
Des orges en général sous-fertilisées qui pénalisent le rendement ET la protéine
Les faibles teneurs en protéine recherchées par les acteurs de la filière brassicole peuvent faire penser que la culture nécessite peu d’intrants et qu’elle est facile à produire en bio où les céréales sont systématiquement carencées en azote. Or, les observations faites depuis 4 ans démontrent que les impasses de fertilisation pénalisent soit le rendement soit la protéine. Dans le secteur centre, les impasses de fertilisation sont nombreuses et les agriculteurs peinent à atteindre les seuils des 9,5% de protéines malgré de très faibles rendements. A l’inverse, dans le secteur nord, les orges sont fertilisées par 80% des agriculteurs enquêtés : 50 kgN/ha sont apportés (mix PRO / bouchons organiques) en moyenne en 1 ou 2 apports et les taux de protéines dépassent les normes.
Part des agriculteurs qui fertilisent ou non en fonction de leur secteur de production et leur type d’orge cultivé.
Tous ces résultats ont permis d’éditer des premières recommandations aux agriculteurs en fonction de leur secteur et/ou de leur problématique sur le taux de protéine :
Ces recommandations non exhaustives sont basées sur l’état des connaissances et des observations faites au champ. Un travail de recherche en partenariat avec l’Institut Technique du Végétal – Arvalis – est en cours de réflexion pour objectiver les leviers techniques proposés. Les résultats 2024 du projet sont à retrouver sur ici.
En 2025, les enquêtes et analyses se poursuivent auprès d’un réseau de 30 agriculteurs répartis dans toute la région Sud-PACA pour mieux comprendre le lien entre pratiques agricoles et le taux de protéines des orges brassicoles.
Agribio 04 remercie chaleureusement l’ensemble des agriculteurs qui ont pris part à l’étude et qui permettent d’avancer collectivement sur la production d’une orge brassicole bio de qualité en région.
Partenaires filière : Malterie Provence-Alpes, DURANSIA, Groupe PAYRE, La Coopération Agricole Sud, agriculteurs et paysans-brasseurs.
Rédaction : Clémence Rivoire, conseillère-animatrice en grandes cultures biologiques pour Agribio 04 et la réseau Bio de PACA.
Pour toutes questions et remontées terrain : grandes-cultures@bio-provence.org / 07 44 50 30 67
Date de publication : 11/12/2024

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