La présence du phytonome devient de plus en plus problématique dans le sud-est de la France : en consommant la 1ère coupe de luzerne la plus productive, les larves de phytonome déstabilisent l’autonomie fourragère des élevages bio et conventionnels, déjà mise à mal avec le changement climatique. Ses dégâts altèrent également le fonctionnement agronomique des systèmes de grandes cultures bio où la luzerne, placée en tête de rotation, remplit de nombreuses fonctions : nutrition azotée, gestion du salissement, structure du sol…
Dégâts de phytonome.
Le cycle de développement du phytonome se caractérise par deux cycles de ponte par an : une 1ère ponte au printemps et une 2ème ponte à l’automne à la base des tiges de la luzerne. Les larves du phytonome sont surtout actives de mi-mars à début mai et créent des dégâts principalement sur la 1ère coupe de la luzerne.
Après éclosion, elles remontent à l’intérieur des tiges de luzerne et émergent au niveau de l’apex. Elles consomment le limbe des feuilles puis redescendent le long de la plante pour réaliser leur nymphose (cocons).
Le phytonome est sensible au stress thermique et hydrique. L’été, le charançon adulte migre en dehors des parcelles pour rentrer en diapause (ralentissement physiologique). L’hiver, l’adulte reste dans les parcelles et hiverne dans les 1ers cm du sol.
Depuis deux ans, Agribio 04, le réseau des Chambres d’Agriculture, la Maison Régionale de l’Elevage (MRE), l’Institut de l’Elevage (IDELE) et Arvalis – L’Institut du végétal – travaillent ensemble sur le ravageur. En 2024, une 1ère enquête a été conduite auprès d’une trentaine d’agriculteurs de la région Sud-PACA pour mieux comprendre les facteurs influençant les conditions de développement de l’insecte, ses dégâts, et référencer les leviers de lutte expérimentés par les agriculteurs. Basé sur ces résultats, un essai a été mis en place 2025 pour commencer à évaluer les leviers techniques les plus couramment utilisés par les agriculteurs sur la pression en phytonome et sur le rendement de la 1ère coupe.
Les 3 stratégies de gestion du phytonome étudiées étaient de : i) perturber le phytonome pendant sa phase d’hivernation par hersage (15/02/2025), ii) broyer précocement la luzerne pour supprimer les supports de ponte et/ou détruire les œufs (26/02/2025), iii) broyer plus tardivement la luzerne pour détruire les larves (pratique usuelle des agriculteurs enquêtés) (03/04/2025). Ces trois stratégies ont été comparées à une modalité témoin sans interventions mécaniques. L’essai a été mis en place sur la station expérimentale d’Arvalis à Gréoux-Les-Bains, dans une luzerne semée le 17/03/2023 à 20kg/ha implantée pour gérer une forte pression ray-grass (variété AZZURRA, type méditerranéenne).
Dans le contexte de l’essai 2025, le hersage sur les premiers cm du sol (15/02/2025) et le broyage précoce (26/02/2025) de la luzerne ont permis de réduire drastiquement le nombre de larves présentes dans la parcelle, de 40 à 70% en fonction des stratégies testées. La pression phytonome était d’autant plus réduite lorsque les deux stratégies étaient combinées (1,8 larves/tige de luzerne en moyenne contre 6,6 larges/tige dans la modalité témoin).
Les comptages de larves ont été effectués avant la mise en place du broyage tardif, pratique usuelle des agriculteurs enquêtés.
Le passage d’une herse étrille seule, ou associé au broyage précoce ont permis d’améliorer le rendement de la 1ère coupe par rapport à la modalité témoin sans intervention mécanique et non traitée.
Les itinéraires avec broyage tardif n’ont pas permis d’améliorer la 1ère coupe par rapport témoin. Il pourrait même s’avérer préjudiciable en abritant des larves au stade de développement plus avancées sous les andains, laissant libre court à leur développement et à leur consommation des repousses de luzerne. Cette stratégie contre-productive entrainerait des pertes de vigueur, accentuerait le phénomène de verse, accélérerait le salissement des parcelles et réduirait les réserves racinaires de la luzerne. La 2nd coupe serait retardée et la longévité de la luzerne réduite. Ces éléments tirés de la littérature scientifique reste à vérifier dans notre contexte pédoclimatique.
Ces résultats sont à nuancer au regard du salissement de la parcelle, qui semble avoir impacté le rendement de la 1ère coupe, ce dernier étant relativement faible.
Au sein de l’essai, le broyage précoce a aggravé les problématiques de salissement déjà présentes dans la parcelle, problématiques également accentuées par la présence de phytonome.
Un essai similaire a été conduit au GAEC des Charentais (Pierrerue, 04), chez Florian et Eric Jean, éleveurs ovins bio, pour évaluer l’impact d’un pâturage précoce (mi-mars) sur le phytonome dans une luzerne associée à de l’avoine noire. Les résultats se sont révélés similaires : une réduction significative du nombre larves de 80% et l’augmentation du rendement de la 1er coupe par rapport à une luzerne associée non pâturée. En plus de valoriser une 1ère production de biomasse en sortie d’hiver (2 t MS/ha) grâce au pâturage, le décalage de stade de fauche optimal de 3 semaines observé dans la luzerne pâturée pourrait être un moyen de mieux répartir les chantiers de récolte en 1ère coupe tout en conservant le bon stade de fauche pour les éleveurs.
Ces prometteurs restent à valider dans différents contextes pédoclimatiques et à étudier d’un point de vue technico-économique et zootechnique. Les essais se poursuivent en 2026.
Pour toutes questions et remontées terrain : grandes-cultures@bio-provence.org / 07 44 50 30 67
Rédaction : Clémence Rivoire, Chargée de missions en grandes cultures biologiques pour Agribio 04 et la réseau Bio de PACA ; relecture par les partenaires.
Suivi terrain réalisé avec l’appui de Lisa Routhiau, service civique à Agribio 04, et Rémi Leconte, animateur ovin de la Maison Régionale de l’Elevage.
Nous remercions Florian et Eric Jean, éleveurs bio à Pierrerue, et Arvalis pour la mise en place de ces expérimentations.
Date de publication : 26/11/2025