Le réseau des agriculteurs et agricultrices Bio
de Provence-Alpes-Côte d'Azur

Réfléchir l’agriculture bio de conservation en Luberon : enherbement des PPAM, travail du sol superficiel et apports de compost (témoignage d’agriculteurs)

Le 27 janvier dernier, une trentaine d’agriculteurs bio et techniciens se sont retrouvés dans le Luberon sur la ferme de Clément Aude et Malvina Malbec (Bonnieux, 84480). Une demi-journée organisée par le collectif ABC-Sud pour explorer les pratiques bio de conservation des sols mises en place sur la ferme : réduction du travail du sol, enherbement inter-rangs des lavandes et lavandins, introduction des légumineuses à graines dans la rotation, apports de broyats de déchets verts et de pailles de lavandin compostés, et réflexion sur les pistes de diversification sur la ferme.

Le GAEC Aude Malbec (Bonnieux, 84480)

Présentation de la ferme

Clément Aude, paysan et Malvina Malbec, apicultrice, sont installés depuis 2014 sur une trentaine d’hectares. Ils produisent des fourrages (7ha de luzerne et sainfoin, prairies temporaires), des lavandes/lavandins (12ha) et des cultures annuelles (méteil, féverole d’hiver, tournesol). Malvina et Clément récoltent également la production d’une 100aine de jeunes oliviers, 80 figuiers et 200 ruches. Les surfaces cultivables sont en partie irrigables mais la ferme n’est pas équipée pour l’irrigation, principalement pour des raisons économiques. Le tournesol bénéficie tout de même de quelques tours d’enrouleurs à l’implantation, matériel prêté par un agriculteur voisin. Clément et Malvina sont installés sur des terres sablo-limoneuses avec un très bon potentiel agronomique.

La crise du lavandin a lourdement impacté la santé économique de la ferme mais l’apiculture permet de maintenir une activité agricole. Des réflexions sur la diversification des cultures et/ou des ateliers de production sont en cours pour améliorer la résilience économique de la ferme. L’ensemble des productions agricoles sont vendues au magasin à la ferme et en AMAP (miel, huiles essentielles, huiles d’olives), ou à des éleveurs voisins pour les fourrages et les méteils.

Les précipitations sur la commune de Bonnieux s’élèvent en moyenne à 740mm/an. Elles prennent régulièrement la forme de pluies cévenoles à l’automne, accentuant les problématiques d’érosion des sols et de battance rencontrées en sols limoneux. A l’inverse, elles peuvent devenir déficitaires dès la sortie d’hiver, accentuant le stress hydrique des cultures, lui-même accéléré par les fortes températures rencontrées sur le territoire. Ces dernières dépassent les 25°C (conditions échaudantes sur céréales) pendant plus de 40j sur la période de mi-avril jusqu’à la récolte, pénalisant le remplissage du grain et in fine le rendement des cultures.

Le non-labour : une volonté dès l’installation

La réduction du travail du sol a été pour Clément une vraie préoccupation dès son installation. Il débute sans labour et s’équipe de plusieurs outils à dents et à disques : griffon chisel à pattes d’oies verticales, griffon à dents de vibro queues de cochon (+ rouleau cage), griffon scalpeur à pattes d’oies horizontales (+ rouleau cage) et un covercrop. Sauf pour les interventions de décompactage, Clément travaille sur les 10-15 premiers cm de sol. Le covercrop est utilisé pour retourner les têtes de rotation (légumineuses fourragères), détruire les PPAM et enfouir les cannes de tournesol. Le type et le nombre de passages de griffons réalisés sont réfléchis en fonction de la pression adventice . A chaque intervention, la profondeur de travail du sol est réduite pour éviter la mise en germination des graines d’adventices situées plus en profondeur. Les outils sont passés dans l’ordre suivant : chisel > dents vibro > scalpeur.

Appréhender le travail du sol en essayant d’en mesurer l’intensité ?

Afin de mieux appréhender l’intensité des itinéraires techniques de travail du sol mis en place sur la ferme, l’indicateur STIR (Soil Tillage Intensity Ratio), qui permet de donner une note d’intensité du travail du sol par culture (du déchaumage du précédent à la moisson), a été calculé. Plus la note est élevée, plus le travail du sol est intense :

©Agribio 04

Sur la ferme, les cultures nécessitant le plus de travail du sol sont les plantiers de lavande, les cultures annuelles (tournesol, triticale/pois) puis l’implantation des luzernes. Les plantiers de lavande se distinguent du reste des cultures à cause du travail de décompactage (sous-soleuse à 28cm) et des multiples passages de bineuse (x7) qui constituent 60% de la note d’intensité de travail du sol (+130 points). Bien qu’impressionnante l’année de plantation, cette note est lissée à l’échelle de la culture car l’intensité du travail du sol est réduite les années qui suivent. L’introduction d’une culture pérenne comme la lavande ou le lavandin dans les rotations céréalières bio explique le faible STIR moyen par hectare obtenu (x65/ha) en proratisant les notes de chaque culture aux surfaces qu’elles occupent.

L’indicateur, bien qu’exploratoire, permettra à l’échelle du collectif ABC-Sud de mettre en discussion les pratiques de travail du sol de chacun et de les objectiver au regard de l’intensité du travail du sol.

Détruire la luzerne en techniques culturales simplifiées

La place des cultures dans la rotation influence également le travail du sol : la destruction des luzernes, des pailles de lavande et des cannes de tournesol par covercrop participe à l’intensification du travail du sol sur les cultures suivantes (méteil). Les échanges sur le retournement des luzernes en techniques culturales simplifiées ont permis de questionner Clément sur le nombre et l’ordre des outils de travail du sol utilisés. Le covercrop en 1ère intervention ne semble pas être l’outil idéal. Il sectionne partiellement les pivots et travaille plus en profondeur qu’un scalpeur : la luzerne conserve ses réserves nutritives dans son système racinaire, ce qui accentue sa reprise en végétation. Un travail de surface à 5cm de profondeur par scalpage permettrait de sectionner la racine pivot de la luzerne au plus proche de la couronne de bourgeons et sécuriserait sa destruction.

L’enherbement permanent des PPAM

Pour répondre à des problématiques d’érosion des sols, les PPAM cultivées sur la ferme sont spontanément enherbées. Le couvert est régulé par broyage répété grâce à un système de tondeuses installées à l’avant du tracteur. Les inter-rangs sont broyés 3 à 4x/an à 15cm de hauteur pour préserver la biodiversité.

A l’origine, les tondeuses étaient installées à l’arrière du tracteur. Le réglage n’était pas optimal car l’herbe était écrasée par les roues du tracteur avant broyage. Clément et Malvina se sont inspirés des retours d’expériences de Jean-Marie Goret, producteurs de PPAM bio à Saint-Rémy de Provence, et ont bénéficié de l’appui de MBT pour améliorer l’outil. ©Agribio 04

Aucune perte de rendement par l’enherbement inter-rangs n’a été observé par Clément et Malvina. Le recours à l’enherbement spontané permet de limiter les coûts, le temps de travail et de sélectionner des espèces adaptées au contexte pédoclimatique. Les producteurs qui enherbent peuvent cependant parfois observer une sélection d’espèces au détriment des légumineuses. Certains d’entre eux sursèment alors pour enrichir leurs couverts et faire rentrer de l’azote dans le système. L’enherbement remplit ici plusieurs fonctions : protection des sols, effet tampon sur les températures extrêmes, régulation biologique des ravageurs…

Lavandins de 5 ans spontanément enherbés (15/04/2024). Sur la ferme, les problèmes de dépérissement sont anecdotiques, tout comme les dégâts d’arima, pourtant bien présent chez les agriculteurs conventionnels voisins. D’après les suivis effectués par la CA84, l’arima semble être naturellement régulée par la présence du couvert spontané, tout comme la cécidomyie. ©Agribio 04

En mars 2024, Clément a planté 1ha de lavande maillette en travaillant uniquement la ligne de plantation au griffon vibro (3 dents). L’objectif était de conserver le sainfoin du précédent et de bénéficier des services apportés par la légumineuse et plus largement de l’enherbement dès l’année de plantation.

15/04/2024 avant plantation (gauche) et 27/01/2025 - 10 mois plus tard avec enherbement spontané (droite). ©Agribio 04

Redresser le taux de matière organique grâce aux apports de composts ?

Clément et Malvina mélangent leurs pailles de lavande avec du broyat de déchets verts et du fumier de cheval. Ils compostent en bout de champ entre 6 mois à 1 an en fonction des besoins. Le tas est retourné à l’épandeur au moins une fois avant épandage, un nombre de fois insuffisant selon Clément pour obtenir un produit homogène.
Le mélange est utilisé au pied des arbres fruitiers et des oliviers ou épandu en interculture après moisson. La matière est ensuite incorporée quelques mois plus tard par déchaumage avant le semis de la culture suivante. Ils apportent 28 m3/ha a raison de 4 épandeurs/ha, la manœuvre étant répétée après chaque céréale et tournesol. La présence de plastique et le mauvais criblage des broyats de déchets verts reste cependant un frein à son utilisation.

Le compost est une matière organique stable qui a peu d’effet fertilisant et nutritif sur la vie du sol. Il est d’ores et déjà prédigéré par les micro-organismes et ne créée pas de faim d’azote. Il est principalement utilisé pour rehausser la part de matière organique stable et ainsi améliorer la structure du sol, ce qui facilite aussi sa rétention en eau. Chez Clément et Malvina, les terres présentent un taux de matière organique de 1,8%, un taux plutôt satisfaisant car limité par la faible proportion d’argile granulométrique (15%). Les apports de composts sont à perpétrer car ils permettent d’amender le compartiment des matières organiques stables, légèrement déficitaire d’après le référentiel du labo Celesta-Lab.

Le maintien de l’enherbement en PPAM régulièrement broyé et la présence de légumineuses en partie restituées dans la rotation (sainfoin et/ou cultures associées) alimentent les entrées de matières organiques fraiches et riches en énergies. Elles sont une source de nourriture indispensable pour l’activité biologique, qui tourne à plein régime dans les sols sablo-limoneux de Clément et Malvina. Les restitutions d’un couvert végétal implanté avant la culture de tournesol seraient un plus pour alimenter ce compartiment et in fine améliorer la nutrition azotée de la culture. On estime à 40 kgN/ha le potentiel de restitution azotée pour un couvert de vesce-avoine de 1,5 – 2 t MS/ha avant tournesol (Terres Inovia).


NB : Au-delà de la réflexion sur le choix et les volumes de produits à apporter, la réussite de la stratégie organique mise en place sur la ferme est d’abord conditionnée par le bon état structural et équilibre acido-basique du sol. La valorisation des produits organiques étant liée à l’activité biologique du sol, tout facteur limitant le développement de la biomasse microbienne sera considéré comme un frein : tassement, engorgement prolongé, manque de ressources organiques fraîches, sécheresse, pH etc. Le diagnostic physique du sol est la 1ère étape à mettre en place : à votre bêche et ABC vous !

Pour poursuivre les échanges, vous pouvez contacter :

  Clément Aude au 06 81 10 82 62 - aude.clement2@gmail.com
  Clémence Rivoire au 07 44 50 30 67 – grandes-cultures@bio-provence.org

Rédaction :
Clémence Rivoire, conseillère régionale en grandes cultures biologiques pour Agribio 04 et le réseau Bio de PACA.
Date de publication : 27/02/2025