Le chanvre dit « industriel » est destiné à récolter la graine et/ou la tige. Il est cultivé dans des systèmes en grandes cultures biologiques puisqu’il ne nécessite peu, voire pas, d’intrants et qu’il s’insère bien dans les rotations selon quelques précautions - à condition de disposer de terres avec un bon potentiel, d’un accès à l’irrigation et de quelques vigilances pour la récolte (matériel et choix variétal).
En 2025, le marché du chanvre industriel en PACA s’oriente vers la valorisation des chènevis, sous forme d’huile, par absence de débouché pour les tiges.
En 2024, trois agriculteurs du réseau Bio de PACA ont réalisé des essais sur la culture du chanvre industriel, en collaboration avec Hemp-IT et Terres Inovia (choix variétal et accompagnement technique). Ces essais ont été suivis par Agribio 04 dans le cadre du projet Diversycole financé par FranceAgriMer, portant sur la diversification et l’allongement des rotations en grandes cultures.
Parcelles d’expérimentations suivies en 2024
Le chanvre est couramment semé en PACA autour de mi-avril à début-mai, dès que les conditions le permettent – sol ressuyé et réchauffé à une température de 10-12°C et semé à 2-3 cm de profondeur, optimisant la germination et l’installation .
L’année 2024 a été marquée par un printemps doux et humide, avec des précipitations importantes en avril-mai ayant contraint les agriculteurs à retarder le semis du chanvre.
Evolution des conditions météorologiques sur la station de Marcoux, proche de l’agriculteur A. Précipitations cumulées sur la période de croissance du chanvre depuis le 4 juin (date de semis sur la parcelle A).
A partir de mi-juin, des stress hydriques sont observés et les agriculteurs A & B ont pu irriguer le chanvre. Les précipitations de fin de cycle ont perturbé la récolte, décalant les dates de moisson.
Le schéma ci-dessous présente en vert, les phases de développement du chanvre à date de semis optimale, et en bleu une date de semis tardive.
Schéma des étapes de croissance du chanvre dans le temps, en fonction de la date de semis
La floraison du chanvre étant guidée par les cycles de photopériode, une même variété entrera en floraison au même moment dans un même endroit, quel que soit la date de semis. Un semis à date optimale disposera donc de plus de temps pour assurer un bon développement végétatif. La courbe bleue schématise le comportement du chanvre sur les essais 2024 :
Bruno HURSTEL, Hemp-IT : « L’arrêt de la croissance végétative ne change pas quand les dates de semis restent calées dans la normalité (début avril à mi-juin). Un semis en mars verra les plantes fleurir très tôt (décalage de la floraison) mais elles continueront à grandir et émettre de nouveaux étages floraux - on ne sait plus quand il faut récolter car les graines du premier étage sont tombées au sol alors que les fleurs du dernier étage ne commencent qu’à s’ouvrir. Un semis très tardif, à partir de 3ème semaine de juin va décaler sérieusement la date de pleine floraison, ce qui retardera d’autant la date de maturité de la graine et donc la date de la récolte, avec les risques climatiques qui peuvent exister alors. »
Différentes variétés ont été testées chez les agriculteurs en 2024, ayant pour objectif une valorisation mixte du chènevis et des tiges :
Variétés testées en 2024 par les agriculteurs du réseau Bio de PACA
Le code derrière le nom des variétés proposées par le semencier Hemp-IT, désigne la précocité de la variété – plus le chiffre est faible et plus la floraison est précoce. Les variétés très précoces à précoces sont plus efficaces pour produire de la graine contrairement aux variétés tardives qui sont meilleures pour la production de paille.
La variété Ostara 9 est une variété très précoce mais elle est, contrairement à Earlina 08, indéhiscente. Les graines vont rester sur la plante à maturité permettant de décaler de quelques jours la moisson sans crainte de pertes de rendement.
Les simulations technico-économiques réalisées en 2023 ont montré que la culture du chanvre était difficilement rentable au cours actuels (autour de 1700€/t) s’il n’y avait qu’une seule valorisation de chènevis. Les variétés à valorisation simple (chènevis ou tige) ont été conservées dans l’essai afin d’évaluer leur potentiel en contexte méditerranéen.
🔎 Choisir vos variétés de chanvre : rendez-vous sur cette rubrique.
Les résultats présentés ci-après représentent les conditions de l’année 2024. Ils ne doivent pas être généralisés, mais mis en perspective avec des résultats pluriannuels, pour lisser l’effet climatique de l’année en cours.
Résultats mesurés expérimentalement par variété
Les agriculteurs ont semé 1 à 4 bandes de chanvre sur les mêmes parcelles (2500 m2 minimum par bande), afin de pouvoir comparer le rendement tige et chènevis.
Contrôle de la maturité des graines – 30/08/2024
Pour chaque bande, 5 prélèvements ont été réalisés aléatoirement au moment de la maturité des graines, pour analyser et comparer les biomasses produites.
Prélèvements de chanvre à maturité – 04/09/2024
Résultats des prélèvements à maturité et des rendements théoriques expérimentaux :
Résultats technico-économiques des essais conduits en 2024 chez les agriculteurs du réseau Bio de PACA
Le rendement en tige semble corrélé à la précocité variétale : Earlina 08FC a produit la biomasse la plus faible (1,6 t tige / ha), tandis qu’Orion 33 a présenté la meilleure performance (4,4 t tige / ha). Toutefois, le rendement en chènevis ne suit pas cette tendance : Ostara 9 a présenté le meilleur rendement en graines (7,9 q / ha), suivi de Mona 16 (6 q / ha), Earlina 08FC (4,4 q / ha) et enfin Orion 33 (3,4 q / ha).
Les variétés tardives et mixtes (production de tige et de chènevis) comme Orion 33 nécessitent une période végétative prolongée pour exprimer leur potentiel en chènevis. Les variétés précoces comme Ostara 9 semblent mieux adaptées aux semis tardifs pour une production optimisée de chènevis. Earlina 08FC confirme, pour la deuxième année consécutive, des rendements insuffisants en chènevis, ce qui justifie son retrait du catalogue Hemp-IT au profit d’Ostara 9.
Info : Le rendement tige après défibrage varie de 50 à 65 % du tonnage initial (références via Hemp-IT, valeurs non mesurées dans le cadre de cet essai).
Résultats réels des agriculteurs post-récolte
En raison d’une biomasse insuffisante, la tige n’a pas été récoltée en 2024. Certaines variétés présentaient un potentiel intéressant, mais le rendement global des parcelles est resté trop faible, auquel s’est ajouté un manque de marché pour valoriser les tiges.
Le tableau ci-dessous présente le rendement réel des agriculteurs, post-triage. Cette dernière étape n’a pas pu être réalisée sur les prélèvements au champ :
Comparaison des rendements expérimentaux et finaux des agriculteurs pour le chènevis
L’objectif de rendement en chènevis pour la région PACA se situe autour de 8 à 10 q/ha. Les rendements réels des essais en 2024 est moyen (5q/ha) à décevant (0,5q/ha), mais permettent d’identifier des pistes d’amélioration.
La variété Ostara 9 semble être la variété avec le moins de différences entre le rendement réel et le rendement mesuré expérimentalement, bien qu’elle soit plus précoce et que tous les prélèvements ont été réalisés au même moment. Ceci confirme son indéhiscence qui lui permet de limiter l’égrainage.
Le bilan économique est décevant pour 2024 à cause des mauvais rendements.
Chiffres d’affaires estimés par variété testée en 2024
Mona 16 semble être la variété la plus intéressante économiquement, suivie d’Ostara 9, en raison d’un compromis favorable entre production de chènevis et tige. Une valorisation exclusive de l’une ou l’autre de ces fractions ne semble pas viable économiquement avec les rendements actuels, soulignant l’importance d’optimiser les itinéraires techniques tout en sécurisant les débouchés.
Les variétés qui semblent les mieux adaptées pour la région PACA semblent être les variétés précoces à intermédiaires. Les essais conduits entre 2022 et 2024 ont montré que les variétés trop précoces n’exprimaient pas un bon potentiel de rendement (temps de développement végétatif trop court). Les variétés tardives, récoltées plus tard, sont exposées aux aléas de fin d’été - orages qui provoquent l’égrainage et/ou ressuyage compliqué qui limite l’accès aux parcelles.
Variétés de chanvre adaptées pour la région PACA
Les résultats expérimentaux présentés précédemment ont été prélevés au champ à date de maturité optimale – le seuil de déclenchement de la moisson peut être fixé lorsqu’environ 9 plantes sur 10 présentent encore 15 % des graines dans la glume.
Dates de prélèvements à maturité (expérimental) et de moissons par les agriculteurs
Le tableau ci-dessus montre l’écart de jours entre les prélèvements expérimentaux et la date de moisson par les agriculteurs (uniquement le chènevis a été récoltée en 2024).
Le chanvre étant sensible à l’égrainage à maturité, le décalage entre la maturité et la moisson explique en partie les écarts constatés entre les rendements mesurés expérimentalement et ceux obtenus en conditions réelles. Les résultats expérimentaux ont tendance à être surestimés puisque les prélèvements sont réalisés au milieu de la parcelle pour s’affranchir de l’effet bordure, bien qu’ils permettent d’identifier des tendances de rendement par variété.
Le chanvre étant sensible à l’oxydation post-récolte, il est important de le sécher rapidement après la moisson.
A la moisson, l’humidité des graines de chanvre est généralement comprise entre 20 et 35%. L’objectif est de sécher très rapidement les graines, dans les 2h maximum après battage, pour abaisser le taux d’humidité à 7 - 9 % en 14 à 15 heures . Un pré-triage est à minima nécessaire après séchage, pour conserver une bonne qualité de graines.
Les graines immatures (encore vertes) sont à éviter pour une valorisation en huile, puisqu’elles favorisent l’oxydation et développement une amertume. Un triage densimétrique permettra d’écarter les graines mal remplies.
Note : Selon la valorisation du chanvre en huiles alimentaires ou cosmétique, des analyses sont nécessaires. De mauvaises conditions de séchage occasionnent des déclassements de lots.
Le chanvre est une plante qui s’adapte à son milieu une fois qu’elle est bien implantée – système racinaire pivotant et profond qui lui permet d’explorer des couches profondes pour capter l’eau et les nutriments. En cas de sécheresse, ce sont ces racines profondes qui lui permettent de puiser l’eau en profondeur et résister à la sécheresse.
Les essais conduits entre 2022 et 2024, ont mis en évidence des résultats décevants sur des sols superficiels et pauvres. Dans ces conditions difficiles, il est donc déconseillé d’emblaver du chanvre, au risque d’avoir une culture déficitaire économiquement.
L’azote est essentiel pour la culture du chanvre puisqu’il va permettre un bon développement végétatif. Cependant, si les concentrations dépassent 150 U d’N / ha, la croissance végétative sera stimulée, au détriment du développement des graines. Le risque d’un excès d’azote étant d’avoir :
– des plantes trop hautes et trop épaisses au niveau de la barre de coupe : risque de bourrage au niveau de la barre de coupe ou du convoyeur de la moissonneuse
– des tiges trop épaisses au niveau de la zone de section de la faucheuse : bourrage et nécessité d’avoir une faucheuse à double section (fortement recommandé pour la culture du chanvre, même en bonnes conditions)
Un fractionnement de l’apport d’azote aura un effet positif sur le rendement en chènevis : 2/3 de la dose au semis et le solde lorsque le chanvre atteint 50 cm de haut (limite passage agriculteur). Pas de formulation liquide en végétation car risque de brulure.
Le phosphore et le potassium restent essentiels au bon développement du chanvre à graines puisque ces éléments nutritifs permettent un bon remplissage des graines.
Entre le semis et le début du développement végétatif (voir schéma), le chanvre reste sensible aux stress hydriques puisque les racines ne sont pas suffisamment développées pour puiser l’eau en profondeur. L’irrigation post-semis reste un levier pour sécuriser un bon développement végétatif de la culture.
Le remplissage des graines peut également être compromis en cas de stress hydriques. Irriguer à la floraison et au remplissage des graines permet d’améliorer le remplissage (PMG) et donc la qualité du chènevis - rendement huile par exemple.
De nombreux individus de jeunes stades de la punaise Nezara viridula on été observés lors de la récolte chez un des agriculteurs. Nous avons également constaté de nombreuses graines vides, avec un trou à l’extrémité.
Présence de punaises Nezara viridula au niveau des inflorescences - 30/08/2024
Une attention particulière sera portée lors des prochaines campagnes culturales afin d’évaluer si Nezara viridula est un ravageur potentiel des graines de chanvre.
Des initiatives sont en cours pour créer une chanvrière paysanne en PACA, afin de structurer une filière locale et maximiser la valeur ajoutée au niveau des exploitations.
Par ailleurs, des essais sont prévus pour évaluer le potentiel de transformation du chènevis en huile et optimiser les rendements en extraction. Ce travail a été initié fin 2024 en partenariat avec l’Huilerie des Alpes, afin de consolider et sécuriser un approvisionnement en graines bio et locales de qualité.
Huile de Chanvre bio proposée par l’Huilerie des Alpes
Le programme d’expérimentation pluriannuel se poursuivra en 2025, avec un accent particulier mis sur les variétés adaptées à la trituration, en produisant une quantité suffisante de chènevis pour tendre vers un meilleur équilibre économique, tout en produisant des graines de qualité pour la transformation.
🔎 Plus d’infos sur le chanvre bio en PACA : rendez-vous sur cette rubrique.
Article rédigé par Damien FORNENGO (Chargé de missions grandes cultures bio - Agribio 04), avec le soutien technique de Bruno HURSTEL (Responsable Evaluation Agronomique - Hemp-It) et Louis-Marie ALLARD (Ingénieur de développement Cultures de Diversification - Terres Inovia)
Rejoindre le collectif des producteurs bio de chanvre industriel en PACA ? En savoir plus sur l’itinéraire technique ou les débouchés dans la Région ? Contactez Agribio 04 : anim.grandes-cultures@bio-provence.org