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Variétés paysannes de blé tendre : ont-elles une plus-value face aux stress hydrique ?

Les variétés anciennes, ou paysannes sont régulièrement attendues pour leur adaptation aux environnements de production stressants climatiquement (stress hydrique) et nutritionnellement (stress azoté). Une nouvelle analyse des essais réalisés entre 2015 et 2019 en Provence, permet de mieux caractériser leur comportement et montre que les variétés modernes actuelles sont, sauf exceptions, plus adaptées aux aléas climatiques.

Article rédigé par Mathieu MARGUERIE, Arvalis - L’Institut du Végétal, dans le cadre du projet Blé Paysan BIO financé par l’Office Français de la Biodiversité. Novembre 2025.

Acquisition de références locales sur les blés paysans en PACA

Le climat du Sud-Est de la France est particulièrement concerné par de longues périodes sans pluie, potentiellement au printemps, pouvant affecter le rendement des céréales à paille d’hiver. Pour identifier les variétés de blés tendres les plus adaptées à ces aléas climatiques, Arvalis et Agribio 04 ont mis en place des essais entre 2015 et 2019 dans les Alpes de Haute-Provence comprenant des variétés modernes, autrement dit récemment sélectionnées et en multiplication par des semenciers, et « de pays » cultivées depuis plusieurs dizaines d’années par les agriculteurs du territoire. Ces dernières sont des variétés datant d’avant la Seconde Guerre mondiale et multipliées par les agriculteurs de génération en génération.

Des stress hydriques précoces

Afin d’évaluer le comportement face au stress hydrique de ces deux groupes de variétés, elles ont été semées à l’automne chaque année dans deux essais en microparcelles se faisant face : l’un avec irrigation pour contenir le stress hydrique, l’autre sans irrigation pour le laisser s’exprimer. Les tours d’eau ont été déclenchés à l’aide de sondes tensiométriques. Les années 2015 et 2016 ont été caractérisées par un stress hydrique précoce nécessitant des irrigations dès la mi-avril (environ le stade 2 noeuds), alors que l’année 2017 a été marqué par un stress hydrique tardif à partir de la floraison et des températures échaudantes (>30°C) en fin de cycle (Tableau 1 & Figure 1). Le franchissement de la réserve facilement utilisable correspond à l’entrée en stress hydrique des blés.

Tableau 1 : conditions de réalisation des essais

Les variétés modernes plus adaptées au stress hydrique que les anciennes

En moyenne, les variétés anciennes se révèlent plus sensibles au stress hydrique : leur rendement est significativement plus faible que les modernes en l’absence, comme en présence d’irrigation (Figure 1). Les variétés anciennes sont même en moyenne moins productives à l’irrigué que les modernes sans irrigation. Elles sont en revanche plus stables dans leur rendement face au stress hydrique.

Figure 1 : rendement des blés selon le type de variétés et le régime d’irrigation

Variétés anciennes : une fertilité d’épis qui plafonne

Ces résultats s’expliquent par un comportement différent du point de vue de la plasticité de leurs composantes de rendement au stress hydrique (Figure 2). En situations de contrainte hydrique, les variétés anciennes font moins d’épis/m² que les modernes, en raison d’un plus grand nombre de régressions de talles. Le fait que les anciennes soient plus tardives rend sans doute l’arrivée à maturité des talles plus compliquée en cas de conditions de sécheresse printanières. Ce plus faible nombre d’épis/m² n’est ensuite pas compensé par une meilleure fertilité d’épis qui plafonne chez les variétés anciennes. Seul le PMG est plus élevé pour les variétés anciennes, mais insuffisamment pour prétendre atteindre le niveau de rendement des modernes, même les années à fort échaudage pendant le remplissage.

Figure 2 : Composantes de rendement selon l’irrigation et le type de variété

Classer les variétés selon leur potentiel de production et sensibilité au stress hydrique

L’analyse plus détaillée montre des différences de comportement sur quelques génotypes à l’intérieur des groupes « anciens » ou « modernes » (Figure 3). Quelques variétés anciennes sortent du lot avec une productivité proche des modernes en situation irriguée : Saissette de Provence, Barbu du Roussillon… Elles font partie des variétés à haut potentiel de rendement et avec une sensibilité modeste au stress hydrique. Ces résultats montrent qu’un faible niveau de potentiel de production pour une variété n’est pas la garantie de sa stabilité de rendement en cas de stress hydrique.

Figure 3 : classement des variétés, anciennes ou modernes, selon leur sensibilité au stress hydrique

Rendement paille : avantage aux anciennes

Si au niveau de la productivité des grains, les chiffres ne font pas débat, en ce qui concerne le rendement paille, il est nettement supérieur pour les variétés anciennes, comme en témoigne ces mesures réalisées en 2021 sur un même essai (Figure 4). Cela peut conférer des avantages pour une valorisation économique de la paille ou contribuer à l’entretien des stocks de matière organique dans les sols. En ce qui concerne la lutte contre les adventices, des travaux récents menés à Gréoux n’ont pas montré d’effet probant de la biomasse de paille pour la diminution de leur développement.

Figure 4 : rendement en paille d’une variété moderne et ancienne de blé tendre

Des taux de protéines plus hauts pour les anciennes, mais sans améliorer la force boulangère

En revanche, en ce qui concerne le rendement semoulier, il est à l’avantage des variétés anciennes, le PMG étant systématiquement plus élevé. Le taux de protéine est également sécurisé avec les variétés anciennes, sans pour autant présager de la facilité de panification, exprimée par la force boulangère. Si cette dernière est corrélée au taux de protéines pour les modernes, il n’en n’est pas de même pour les anciennes où elle est souvent plus basse, à l’exception du Barbu du Roussillon. Cela explique en grande partie pourquoi les variétés anciennes nécessitent des techniques spécifiques de panification maîtrisées par les boulangers ou paysans boulangers qui en ont l’habitude : levain, fermentation longue…

Figure 5 : relation entre la protéine du grain et la force boulangère W sur des mesures réalisées en 2017 et 2018

Qualités nutritionnelles : plutôt favorables aux variétés anciennes

En ce qui concerne les qualités nutritionnelles, les quelques analyses réalisées sur le grain ne permettent pas de discriminer fortement les typologies de variétés, du fait d’une grande variabilité de résultats à l’intérieur de chaque groupe « ancien » ou « moderne ». Le profil nutritionnel des grains de blés anciens semble légèrement plus favorable que les modernes : les teneurs y sont égales ou supérieures dans 9 indicateurs sur 11, excepté pour les vitamines B2 et E (Figure 6). Les teneurs supérieures en minéraux pour les variétés anciennes corroborent ainsi plusieurs études scientifiques sur le sujet. Les analyses nutritionnelles de méthodes contrastées de panification, avec variétés anciennes ou modernes n’ont pas été concluantes, faute de répétitions suffisantes qui auraient permis d’encadrer les incertitudes de mesure.

Figure 6 : profils nutritionnels des variétés anciennes et modernes (analyses 2020)

Quelles variétés paysannes demain ?

Au final, cette étude met en évidence de nouveaux résultats quant au comportement des variétés anciennes et modernes dans le Sud-Est de la France. Si en moyenne, les variétés anciennes apparaissent moins adaptées pour faire face aux stress hydriques, certaines d’entre elles se révèlent être tout de même intéressantes de ce point de vue-là. Compte tenu des conditions variables de production d’une année sur l’autre, il est conseillé, à l’échelle d’une exploitation de procéder à un panachage de variétés modernes et de pays pour limiter les risques. En outre, l’étude s’est concentrée sur des variétés anciennes endémiques de Provence, dont l’adaptation au terroir est fortement challengée par le changement climatique qui évolue plus rapidement que les populations de blé. Il serait pertinent d’évaluer le comportement de variétés de pays provenant de région plus au Sud que la Provence (Italie, Espagne, Portugal), mais dont le climat précède celui du Sud-Est. Cela permettrait d’aller chercher une précocité qui fait défaut aux variétés paysannes actuelles de Provence et de viser des idéotypes à gros grains qui ont fait leurs preuves en blé sur leur bon comportement les années où les fins de cycles sont très séchantes.